jeudi 26 novembre 2015

Pourquoi tombe-t-on, Monsieur ?...

Il paraît qu'on tombe pour mieux se relever... Ça reste à voir. Cette année 2015, c'est l'année où beaucoup de choses se sont gravement cassé la gueule. Et si on en croit ce qui se dit, se voit, s'entend, se raconte... on est en droit de se demander si les choses pourront être relevées un jour.

Dans ce climat, c'est dur de dessiner, d'écrire des conneries, de mettre en scène une Lillie maladroite, tête en l'air, peut-être même un peu gourdasse. Ce n'est qu'un personnage - vous l'aviez compris, hein ?! Lillie n'est qu'un personnage, une marionnette dédiée à l'humour, au comique de situation. Alors comment garder une ligne éditoriale, si on peut appeler ce style d'écriture comme ça, quand on apprend, un vendredi 13 où pour une fois vous avez eu du bol, que 130 personnes ont perdu la vie ?
Assassinées, massacrées, par des fous fanatiques, dans un pays qui ne sait pas ce que c'est qu'un climat de peur. Fauchés avec une violence incroyable, arrachées à leur instant de joie, de fête, arrachées des bras de leurs proches.

Raconter comment Lillie s'est bloqué le dos en faisant son lacet... c'est pas drôle. Plus maintenant. Parler à la troisième personne, et dire des conneries, ça ne prend plus.

Alors vous ne m'en voudrez pas, mais pour une fois, je vais parler, moi.

Vendredi 13 novembre, j'étais à Paris, que j'ai quitté en voiture, avec des covoitureurs. J'étais contente de rentrer chez moi. Vivre à Paris, ça a été sympa, j'ai bien profité, mais le monde, partout, tout le temps, ça m'oppressait. Je suis mieux là où je suis. Et passer quelques jours à la Capitale, ça fait plaisir, mais ça veut aussi dire squatter chez les copains, me trimballer une grosse valise, et accumuler de nouvelles mésaventures que je manquerai pas de romancer pour mon blog. Alors ce vendredi 13 au matin, j'étais contente de rentrer chez moi.
Mon père me dit toujours "Fais attention !". A quoi, je sais pas. Mais je fais attention, du coup.
Quand je suis arrivée chez moi, j'ai sorti mon chien, j'ai croisé des copains. J'ai repris mon traintrain. Et le soir, vautrés sur le canapé, le chien, mon mec et moi, on regardait un film quand nos téléphones ont sonné. Tous les copains commentaient l'actualité en cours, pendant que nous tranquillement, on regardait un film.

Quand on a compris, on s'est jeté sur la TV. BFM en boucle, et les réseaux sociaux sous le nez. Jusqu'à 2h du mat'. Je ne vais pas mentir, j'ai pleuré toute la soirée. Jusqu'à 2h du mat', je n'ai pas décollé mes yeux de la tuerie, du massacre, de l'effroyable réalité. De l'Histoire en marche.

Petite, et même ado, quand je suivais les cours d'histoire, je rêvais d'un jour connaître des bouleversements dans mon pays. De vivre de vrais moments d'Histoire. Et pourquoi pas d'en faire partie, d'y prendre part véritablement, plutôt que d'en être spectatrice. Ce vendredi 13, je ne pouvais pas aller me coucher. Parce que ces moments d'Histoire crevaient l'écran, et moi, j'en étais bien spectatrice. Incapable d'agir, de parler. Juste bonne à pleurer tous ces pauvres gens qui sont tombés sous les balles, comme ça, gratuitement.




Dans le même état que ce fameux 7 janvier 2015 quand, de bon matin, je me suis retrouvée collée devant l'écran, à apprendre, sous le choc, que des dessinateurs venaient de mourir pour avoir tenu un crayon. Parce que leur humour et leurs idées étaient pris pour cible. Et je n'oublie pas toutes les victimes  de l'Hyper Casher. Je me serai bien passé de ce spectacle. Ces idées d'ado, tout à coup, elles me sont revenues. La moi de 16 ans n'aurait jamais imaginé ça. Jamais. Et moi, comme tous d'ailleurs, je me serai bien passé de les voir brutalement se réaliser...

Je ne donnerai pas un avis politique sur tout ça. La toile m'en crache à la gueule tous les jours. "Ils l'ont bien cherché !", "Il ne faut vexer personne", "Il ne faut pas parler des choses qui fâchent"... Rien de plus dégoûtant que ces reproches, ces critiques, qui viennent briser un élan de solidarité tel que je n'en avais pas vu depuis longtemps. En fait, de mémoire de trentenaire, je crois bien que le seul moment de liesse dont j'ai été spectatrice -et même peut-être actrice-, c'est la coupe du monde de 1998 ! Jamais été aussi fière de brandir les couleurs de la France. C'était la première fois que je prenais la pleine mesure du rayonnement français à l'échelle mondiale, et de ce qu'impliquait le mot "fraternité" !
Pendant des mois, le pays a vécu dans une attente étrange, un long moment de flottement. Deux semaines avant ce foutu vendredi 13, je disais à des amis "Vous savez, ce n'est pas fini. Charlie, l'Hyper Casher, ce n'était qu'un début". Et bordel, j'avais raison. Je ne voulais pas tomber dans le pessimisme. Simplement, à regarder l'actualité, ça sentait la merde à plein nez. Et depuis bien longtemps.

Presque deux semaines après les faits, et bientôt un an - UN AN ! - après les premières attaques de cette année parfaitement minable, j'ai encore du mal à parler de tout ça sans avoir une douloureuse pointe au cœur. Comme beaucoup, j'ai bêtement trouvé du réconfort en hurlant la Marseillaise et en brandissant l'étendard, tant pour signifier que j'appartenais -fièrement- à la patrie qu'ils venaient de meurtrir, que pour me sentir englobée dans une masse gigantesque, mondiale de franche solidarité. Je sais que, dans mon besoin de naïveté, "franche" n'est pas le bon terme, mais laissez-moi un peu y croire. On retombe déjà bien assez vite dans la réalité.




Tout le monde veut faire partie de ce nouveau monde à sa façon. On a tous, ou du moins beaucoup d'entre nous, besoin de participer, de se sentir concerné, touché, impliqué. Et pour ce faire, chacun y va de sa réaction, souvent à chaud. Je vois passer énormément de textes partagés, avec des avis plus ou moins proches du mien. Et beaucoup de dessins.
Au début, j'ai pensé faire pareil. Y aller de mon ressenti, de ma colère, de mes idées. Bien sûr, j'aurai pu. Évidemment que j'ai de la peine pour les victimes, les rescapés, leurs familles. Qui oserait avouer le contraire. Mais qui suis-je pour brandir l'étendard de mon indignation ? Noyée dans la masse, ça n'aurait pas eu d'intérêt. Et d'autres ont mis des mots sur le froid glacial qui m'a parcouru ce vendredi 13. Puis, devant une feuille, avec mon crayon, je me sens stupide. Rien ne me vient à part un bon vieux "Putain de merde". Mais je ne sais pas dessiner ça. Et juste cette phrase, comme réaction, faut admettre que ça n'a rien de philosophique.


On a essayé de me culpabiliser, pour avoir pleuré mes compatriotes, sans avoir versé une larme pour les Libanais. Je ne vais pas m'excuser pour pleurer ma patrie meurtrie. Par contre, la terrible ironie qui m'a frappée dans la nuit du vendredi 13, ça, je m'en souviendrai. Je penserai toujours à ce mail que mon mec a envoyé jeudi à son ami, au Liban, inquiet de le savoir peut-être touché par l'attentat le plus terrible connu depuis les années 90. Cet ami, qu'on a longtemps fréquenté en France, nous a toujours parlé de son pays à la stabilité toute relative. Des détonations d'armes la nuit de Noël. Il connaît ça. Et jeudi, on s'inquiétait pour lui. On lisait, les yeux ronds, le geste magistral qu'un homme a eu, pour sauver ses congénères (il s'est jeté sur le kamikaze, et sa mort a évité bien plus de victimes !). Rassurés, nous l'avons su en sécurité, et, secoués par cet événement, nous avons continué notre journée. Son mail, le lendemain soir, après l'annonce des massacres parisiens, pour nous dire qu'il "savait à quel point ça fait mal, et à quel point il souffre pour nous, en souhaitant beaucoup de courage à notre pays", ça, c'était une terrible ironie. Parce que la France n'est pas en guerre. Ce n'est pas un pays instable. Nous n'avions pas à songer à notre sécurité en allant simplement voir un match de foot. Maintenant, on va être obligés de "faire attention". Et son message, avec tout son soutien, est un drôle de retour de manivelle dans les dents. Oui, on pleure les Libanais. Mais merde oui, on pleure nos victimes aussi, surtout.

J'ai vu fleurir partout des #jesuisenterrasse , #memepaspeur , #jesuischarlie . J'ai eu envie de me précipiter dehors et de boire cul sec un grand godet de pinard en vociférant "Highway to Hell !". Mais ça n'aurait ramené personne. Ça n'aurait pas aidé à casser le communautarisme dans les cités, ni à éviter la radicalisation de jeunes paumés, ni à améliorer le système de l'Education Nationale. Ca n'aurait pas fait comprendre à Nadine qu'elle doit fermer sa boîte à camembert, ou à Marine de... de ne plus être Marine. Au mieux, j'aurai eu l'air con. J'ai eu une envie de vengeance citoyenne. Puis j'ai eu peur pour tous les réfugiés syriens, qui en une soirée voyaient leurs espoirs d'entrer sur le territoire réduit à rien. J'ai pleuré pour mon pays. On va où comme ça ?
J'ai essayé, en guise d'hommage, de continuer à vivre normalement.Mais ça ne marche pas très bien. Comme je le disais au début, va-t-en dire des conneries, raconter des futilités, quand le sang n'a pas encore séché dans la capitale ? Ce qui m'importait terriblement devient soudain ridicule devant ces événements. Même dessiner devient difficile. Quelque chose de mignon me semble tout à coup déplacé. Illustrer la situation ou mon ressenti, d'autres le font bien mieux que moi. J'ai tourné en rond pendant deux semaines, avec ces infos qui tournent en boucle à la télévision et dans ma tête. Je ne suis pas optimiste pour la suite. Je crois en l'humanité, mais par moment, je lui collerai quand même bien quelques paires de taloches, franchement. Où tout ça nous mène ? A trente-deux piges, je ne pensais pas vivre tout ça un jour. J'espérais voir l'Histoire en marche et maintenant qu'on y est, abasourdie, je voudrais revenir en arrière. Non, sérieusement, j'étais bien moi, début 90, insouciante, gamine, à siroter mon Cacolac devant le Club Dorothée !

Mais voilà, tout ça, c'est révolu. Le monde que j'ai connu, que beaucoup ont connu, est derrière nous depuis longtemps et on commence à le réaliser, seulement maintenant. Je donnerai bien ma petite contribution à rendre le prochain meilleur. Mais en attendant, après avoir essuyé les larmes, encaissé le choc, et mis une couche typiquement chez nous de crânerie sur la trouille qui m'habite, j'ai bien envie de vivre quand même. Et - comme mon père me le demande -, de "faire attention"
Attention, oui ! Mais avec un picon bière, en terrasse - ou à l'intérieur jusqu'en mars (la "Résistance" est moins sexy avec la goutte au pif !). Et n'en déplaise aux trous du cul qui se prennent pour des pétards de papillotes, je continuerai à boire des coups, jouir de la vie, profiter de mes amis. Et, surtout, je n'oublierai plus nos valeurs, ni mon pays, ni les meurtris, ni les disparus. Je m'amuserai, mais avec un certain sérieux.
Il y aura de nouveaux articles Lillie-Lutinesques, avec de la bonne grosse marrade. Mais il n'est pas impossible que, de temps en temps, ce soit moi qui parle. Une nouvelle orientation de blog, pour un nouveau monde qui débaroule, avec les réflexions inédites qu'il impose.

Et comme l'a si bien dit un grand "Résistant", feu Charb, je préfère vivre debout que mourir à genoux.

Alors santé, putain !



Et puisque les fleurs et les bougies protègent des méchants qui sont pas très gentils, voilà ma - petite - contribution.

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