lundi 18 octobre 2021

WRITING INKTOBER - CRYSTAL

 Bonjour, vous !

Je vous vois venir : tiens, elle a un blog maintenant ?... Bah oui ! Et ça date pas d'hier. Seulement, pas le temps de le mettre à jour, et de raconter des aventures aussi souvent qu'avant. Et voui, j'ai une vie, t'as vu.

inktober avec des mots

Mais j'avoue, ça me manquait un peu, et ces derniers temps, j'ai un p'tit regain de nostalgie. Une envie de m'exprimer pour moi, et pas seulement dans le cadre de mon métier, tout passionnant et prenant qu'il puisse être. Et puis, même si on est censé vivre avec son temps, le blog, c'était quand même mieux avant. Voilà pour le préambule, et voilà qui explique mon "grand retour" par ici. J'avais envie. C'est tout. Mais quoi mettre comme contenu ? 

Figure-toi, lecteur fidèle et investi, qu'en octobre, c'est Inktober. J'aurai pu attendre Novembre pour faire Movember, mais - attention, Scoop !-, j'ai pas de moustache. Alors on fait avec ce qu'on a, allons-y pour Inktober. C'est quoi donc le principe ? Dessiner à l'encre noire, sans brouillon, une illu par jour, suivant une liste officielle de mots différents chaque année (et oui, sinon, c'est trop facile wesh). Principe bien sympa, créatif, qui te met au défi tous les jours de sortir de ta zone de confort. Un projet qui m'a toujours tenté, et que dans une autre vie, j'ai essayé de suivre. Cette année, le temps me manque, et pour être honnête, j'ai teeellement régressé qu'à part dessiner des bonhommes bâton dégueulasses, j'ai pas du tout envie de me confronter à mon manque d'inspiration, doublé d'une perte d'aisance. Tout ça pour dire que je pars sur un autre délire, bien plus attrayant pour moi : l'écriture. "Tu m'étonnes, Elton !". Vous l'aviez pas vue venir celle-là, pas vrai ? La nana écrit sur un blog depuis 2009, elle achète 12 carnets par mois, des stylos toutes les semaines, et elle choisit d'écrire pour Inktober. Une actu aussi surprenante que quand Maeva annoncera que "oui d'accord, j'ai bien fait retoucher ma bouche, je suis pas née avec deux frites de piscine à la place des lèvres".

Bref, trêve d'introduction, place aux mots... 

Attention : en lisant, gardez bien à l'esprit que tout est écrit sur le même principe que les illustrations Inktober. Pas de brouillon préalable, on va où le mot nous mène. Il n'y a pas de synopsis pré-établi, on fait comme on veut au moment où le stylo écrit...

Ces textes, bien que sur Internet, restent ma propriété.

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MOT 1 : CRISTAL


Il pleut depuis des jours, qui l'aurait cru... Même les mouettes se planquent. Le ciel est plus noir que la veille, et les éclairs jouent avec les épais reliefs des nuages. Au-dessus de l'horizon, qu'on distingue tout juste, on peut deviner la guerre qu'ont déchaîné les vagues Il faudrait être fou - ou suicidaire- pour prendre le large. Suffit de voir les bateaux au port, secoués violemment de gauche à droite, pour les imaginer sombrer sous l'assaut des lames.

Pour ne rien arranger, il fait un froid de gueux. Le vent est vicieux, il s'immisce entre chaque couche de vêtements, emporte avec lui l'humidité, si bien que deux pas dehors suffisent à être frigorifié avant même d'être mouillé.

Un parfait temps de merde. Pour résumer.

Pourtant, Etienne marche. La tête enfoncée dans les épaules et les mains au fond de ses poches. S'il tenait le génie qui a inventé le K-way : l'eau ruisselle sur ses manches, glisse le long de ses poignets pour venir inonder l'intérieur des poches. Faut vraiment être con pour avoir fabriqué un tissu imperméable sans penser à ce détail. Ca le met de mauvaise humeur. Ce n'est pas très difficile : Etienne est d'une humeur d'animal blessé depuis la veille. Lui qui n'a jamais l'occasion de prendre des congés, sa semaine tombe pile en même temps que le grand déluge ! Il pourrait rentrer dans son petit appartement lyonnais, mais ces derniers mois, les murs de son 45m2 lui sortent presque littéralement par les yeux.

Etienne a besoin de grand air, même si c'est un air humide. Il shoote dans une cannette vide en grognant. S'arrête. Regarde la cannette faire des tonneaux avant d'achever sa course au bord de la promenade, à quelques centimètres d'une poubelle. Il secoue la tête, accompagné par le froissement de sa capuche. Capuche avec laquelle il se fait l'effet d'un prépuce rougi, un brin pathétique. L'image lui étire un très léger rictus. Il ramasse la cannette et la jette dans la poubelle. Non loin de lui, il avise le restaurant de plage pour lequel il a bravé la pluie. La terrasse est rentrée mais on y aperçoit de la lumière.

Etienne accélère le pas. Il ne pense qu'aux moules - au roquefort de préférence -, qu'il rêve de manger. Depuis que, trois semaines auparavant, des collègues lui ont raconté leurs vacances au bord de mer dans une petite station balnéaire. Eux avaient eu un temps magnifique, peu de monde - la magie du hors saison !-, et profité de restaurants typiques "sensationnels". Ils lui avaient donné tellement envie avec leurs moules et leurs frites à volonté. Etienne espère, tandis qu'il comble la distance qui le sépare du restaurant, qu'il ne repartira pas bredouille. Son estomac se rappelle déjà à son bon souvenir.
Au moment où il met la main sur la porte d'entrée un flash intense vient illuminer la plage. La vue du paysage qu'il avait en noir en blanc reprend instantanément toutes ses couleurs. Etienne capte un mouvement du coin de l'oeil, plus loin sur sa droite, au-delà de la promenade, sur le sable. il relève la tête, intrigué. Mais il n'y a rien, le jour est de nouveau gris et morne. Il n'y a rien de spécial, hormis cette silhouette au bord de l'eau, qui lance une balle à son chien.? Quelle drôle d'idée... promener son animal sous un temps aussi ingrat ? C'est presque de la maltraitance. Pour le chien ET pour le maître d'ailleurs.
Etienne hausse les épaules et appuie sur la poignée de porte.
Le tonnerre, fracassant, le cueille à cet instant. C'est si tonitruant que le ciel s'en déchire presque. des trombes d'eau s'abattent sur la ville. Tout le restaurant a tremblé, Etienne l'a senti vibrer. Une vague impression de danger grimpe vite au fond de sa gorge. Et si le vent n'en démord pas ? Et s'il se prenait des débris sur le crâne ? Ou pire, le toit du restaurant ? Hésitant, la main toujours sur la poignée, il jette un coup d'oeil autour de lui. Manger ou rentrer à l'hôtel. Les rafales couchent les arbustes plantés en jardinières, les grands palmiers s'affolent. Des bourrasques de sable s'abattent sur les rares voitures garées au parking.
Et la silhouette, imperturbable, est debout face à la mer. Etienne plisse les yeux… Non. Pas face à la mer. Face à lui. Il la voit et il sait qu'elle le regarde lui. Ce qu'il a pris pour un chien ne devait être qu'un amas de branches échouées, parce que maintenant qu'il regarde mieux, il ne voit qu'elle.
Seule, droite comme un i, les bras le long du corps. Il lâche la poignée de porte, s'éloigne de quelques pas et, sans les murs du restaurant pour le protéger, il se prend une rafale dans le dos. Si violente qu'elle pourrait aussi bien être une bourrade d'un inconnu sortant juste derrière lui. Au fon de son estomac, il sent comme un gros caillou grossir, et ce n'est pas la faim. Cette sensation, il l'avait presque oubliée, alors elle prend d'autant plus d'épaisseur quand il réalise ce qu'elle est. Avant même de savoir pourquoi elle est là, il pressent qu'elle pourrait le terrasser. Elle qui est si forte, sournoise; celle qui l'a souvent paralysé.
La peur.
Etienne est debout sous la pluie, son K-way claque au vent. Son pantalon est imbibé d'eau et dans peu de temps, ces chaussures le seront aussi. Bien sûr, il fait très froid. Mais ce n'est pas ce qui le fait trembler. Sans qu'il puisse s'en empêcher, il traverse la promenade, puis avance sur le sable mouillé. Droit vers la silhouette qui, elle n'a pas bougé. Les yeux verts d'Etienne s'escriment à deviner un visage sous la capuche, un regard. Mais une ombre lui cache les traits de la femme. Il est sûr que c'est une femme. Son corps moulé par la veste rouge est celui, voluptueux, apparemment ferme, d'une trentenaire. 
Il est intrigué, il se sent observé, scruté. Et tout d'un coup, il veut comprendre. Parce que la peur n'est plus un gros caillou qui pousse en lui. C'est une tension sourde, qui pulse. Comme si quelque part sous son crâne dégarni, une partie de lui a compris un élément qui lui échappe encore. Mais il n'a plus 17 ans. Etienne n'est plus cet adolescent, effaré, presque noyé dans le ressac. Il veut... non, il exige de savoir pourquoi elle le regarde lui, cette fille sous la pluie. 
Et alors qu'il traverse la plage, une courte hésitation... Peut-être qu'elle ne fait qu'admirer le paysage, ou attendre quelqu'un.
Il pleut comme si c'était la fin du monde, les restaurants de bord de mer cachent un immense parking vide, et au-delà les falaises, à peine découpées par un filet de route. Et encore au-dessus, rien. D'ordinaire, on pouvait étudier les reliefs d'une demi-montagne, mais aujourd'hui, la brume a épousé le ciel et il ne reste que du blanc cotonneux. Rien à voir, à part Etienne et son K-way collé au torse, son pantalon trempé qui claque au vent, et son regard électrique.
A deux mètres d'elle, il se fige. Il devine à peine son visage, mangé par des mèches rousses. Mais en une poignée de seconde, il sait. Et sa mémoire rejoue une scène lointaine, avec un plaisir malsain.
Il se revoit, sur les rochers en plein soleil. Il est jeune, il est puissant. Il est libre. Son coeur bat intensément et il s'apprête à recevoir son premier baiser. Offert par cette fille rousse aux taches de rousseur envoûtante. Elle a de jolies fossettes, une bouche rose pâle, un nez de lutin. Son maillot blanc une pièce la rend lumineuse, un éclat brillant réhaussé par les reflets sur les vagues. Les cigales au loin, si fortes, créent une ambiance de rêve pour un souvenir qui aurait pu être heureux.
Mais les yeux de la rousse sont blancs quand elle tend ses lèvres vers lui. Etienne est horrifié. Il recule, s'entaille le pied sur la roche dentelée, perd l'équilibre...
Il ne sait pas si les secondes ont duré des heures, mais quand il se réveille, il est violemment secoué par le ressac, sa tête cogne sur les galets, son nez est râpé et il boit la tasse avant de réaliser qu'il a pied. L'atmosphère est moite, l'eau trop froide. Et surtout, il fait nuit.
Etienne s'affole, glacé et blessé. Toutes les questions se s'entrechoquent dans sa tête tandis qu'il se cherche des repères. Et au-delà de tout le reste, il veut trouver la fille. Pas une trace de cette rousse au maillot blanc. Elle s'est peut-être noyée ? Elle ne lui a jamais dit son prénom.
Pendant des jours, après avoir marché jusqu'à son bungalow, au camping du bord de mer, il n'aura de cesse de raconter. Sa chute, sa rencontre, la disparition. il retournera la station balnéaire, harcèlera les serveurs, les passants, les commerçants... en vain. La petite rousse restera une inconnue, que personne d'autre que lui n'a croisé, une amie presque imaginaire pour Etienne comme pour le reste du monde.

Toutes ces années, Etienne a rejeté dans un coin de son esprit cette drôle d'anecdote. Sans se débarrasser de cette peur si particulière à la vue des yeux blancs. Ce son qu'il lui a semblé entendre aussi. Et qui l'a maintenu éveillé plusieurs années après. Cette peur là, elle explose en lui, là sous la pluie, quand c'est la femme qui comble l'écart entre eux. Il ne reste plus qu'eux, sur la plage, et le vent qui écrase tout.
Elle ôte sa capuche. Le nez de lutin, les taches de rousseur, les lèvres rose pâle. Elle porte les mains à sa fermeture éclair, elle ouvre sa veste. Un éclat blanc, dans un monde tout en nuances de gris. Le maillot, immaculé.
Mais Etienne relève à peine le détail. Le souffle haché, les épaules en arrière, la tête inclinée sur le côté, son attention est paralysée en un point au-dessus d'eux.
Les yeux de la rousse sont blancs, laiteux.
Et si profonds. Des abysses d'une lumière éteinte.
Elle enlève sa veste. Le tissu rouge choit au sol.

"Je m'appelais Cristal".

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