dimanche 24 octobre 2021

WRITING INKTOBER - "COSTUME"

 COSTUME...


Il pleut. A croire qu'il n'existe qu'un seul événement climatique au-dessus de ce fichu pays ! Pluie, pluie, et re pluie. Tout l'été. Etienne détestait ça. A chaque fois, il râlait sans discontinuer, vouant aux nuages gris et au tonnerre une rancœur tenace. Comme si le temps jouait avec ses nerfs, il prenait les jours de pluie pour une attaque personnelle. Une intention délibérée de l'emmerder.

Aujourd'hui ne déroge pas à la règle. Sauf qu'Etienne ne se plaint pas. Etienne ne dit rien. Plus un mot. Et rien que ça, putain, ça me fait mal. A chaque fois que le tonnerre gronde, j'attends. J'attends que sa voix flingue le silence, rauque, pour grogner un truc du genre "Et allez ! Vas-y que ça tonne ! Comme par hasard quand je suis en vélo !". Un sourire me pousse, d'un coup, que je n'avais pas senti arriver. Ca m'aurait fait marrer qu'il dise ça. C'est vrai qu'il n'avait pas de bol, Etienne. Toujours des galères, des soucis. Rarement graves, même s'il en a eu son lit, comme tout le monde. Mais des emmerdes, en escadrilles. Et quand il les racontait, il avait ce talent pour me crever de rire. Pas que je me moquais - il en cumulait quand même des bien bonnes !-, mais il faut dire que la quantité avait quelque chose de loufoque. Lui, ça l'horripilait à le rendre fou en fin de journée, mais vu de ma fenêtre, ce type racontait sa vie comme un sketch. Pour ça, je l'aimais un peu plus. Bon, je compatissais aussi ; il répétait toujours qu'avec lui, tout ce qui aurait dû être simple, était pour lui un combat. Je lui répondais qu'il exagérait. Mais ça, c'était avant de le voir éviter de passer sous une échelle par superstition, et se prendre la truelle de l'ouvrier au-dessus de lui. Vraiment, c'est pas de pot. Ce qui le rendait surprenant, c'est que malgré la conscience d'avoir la poisse, il ne lâchait jamais l'affaire. Ca l'énervait, mais il n'abandonnait pas. Et quelque part au fond, ça le faisait aussi un peu marrer.

Pour ça, Etienne, c'était un drôle de bonhomme. Têtu !

C'est pas faute de lui avoir dit que la plage en novembre, c'était une idée à la con. Il y tenait. Et comme de bien entendu, la pluie s'est invitée à la fête.

Comme aujourd'hui, et j'ai beau mettre les mains dans les poches et m'abriter sous les arbres, je suis moite. Je déteste cette sensation. J'ai l'impression de mijoter dans mon jus, comme dirait Etienne. Si seulement il pouvait le dire lui-même. 

J'ai ce tremblement dans la poitrine. Ca fait quatre jours qu'il ne me quitte pas. C'est difficile à supporter, alors je m'appuie sur le sternum en expirant profondément. Ma femme me répète que c'est mon ulcère qui fait son grand retour. Elle est gentille mais des fois, elle est un peu tarte. Un ulcère ? Alors un ulcère qui s'appelle Etienne, ma douce.

Je pousse un long soupir, les yeux au ciel. Une brusque seconde, c'est la colère qui roule sous les  nuages. 

Etienne.

On l'a retrouvé au bord de l'eau, après l'orage. Recroquevillé sur le sable, trempé jusqu'à l'os, le visage enfoui dans une flaque d'eau. Crise cardiaque. Foudroyante. Une seule flaque sur toute la foutue plage, et il a fallu qu'il tombe la gueule dedans. Le con. Le doc a dit qu'il était mort avant de toucher le sol. Mais quand même, par principe. Cette histoire de flaque, ça m'a foutu en l'air. C'est trop moche. Jusqu'au bout, l'Univers se sera acharné sur lui. Ca fait quatre jours que j'essaie de piger pourquoi. Des pourritures, j'en ai croisé des tas. Mariés, avec des petites nanas chouettes, des gosses qui en avaient dans le crâne, une vie facile. Etienne, lui, c'était vraiment un type bien. Blagueur, festif, volubile. J'ai jamais eu besoin de lui demander, il m'a toujours aidé comme si ça coulait de source. Tout le monde le savait, si on avait une galère, fallait appeler Etienne. Il disait jamais non.

Lui, il était célibataire. Il était pas vilain pourtant. Mais il nous ramenait toujours des énergumènes ! Une prof de yoga versée dans la sorcellerie féministe, une barmaid ex-alcoolique, une tatoueuse avec trois gosses de pères différents... celle-là, elle lui a vidé son appartement. Bref, vous voyez le tableau ? Est-ce qu'il méritait tout ça ? C'était quoi, le plan ?

J'ai jamais cru en Dieu. Etienne, il m'a fait douter une paire de fois. Quelque part, je devais espérer que quelqu'un finirait par l'aider. Mais il y a eu cette flaque. Alors ce quelqu'un, je lui botterai volontiers le cul. 

Les autres me regardent. En même temps, je dois faire une drôle de tête. Ils pleurent, et moi je bous d'une colère inutile. Putain. Etienne. Putain de pluie. Putain de flaque. Putain de vie.

La voiture traverse l'allée, la remonte jusqu'à nous. Je ne bouge pas de sous mon arbre. De toute façon, je ne peux pas m'approcher plus. Il y a une petite foule compacte autour du caveau. De la famille, des voisins, d'anciens collègues de bureau, ses copains du club, des clients, et toute sa bande de potes du centre aéré... les nôtres en fait. Puisque c'est là-bas qu'on s'est tous rencontrés. Pour une fois, on est tous là, rien que pour lui. Une belle brochette de couillons, les yeux tout rouges. On a sorti le costume des grands jours, rien que pour lui. Imbibés de pluie, la tête baissée, à renifler comme des cons.

Lui, il est parti. Sans dire au revoir.

J'irai bien, moi, lui dire au revoir, ça fait quatre jours que j'attends, depuis le coup de téléphone. Mais avant ça, je voulais comprendre ce qu'il foutait sur cette plage, en plein déluge. En cherchant des photos de lui pour les mettre au Mur des Souvenirs, j'en ai trouvé de l'Etienne de 17 ans, en slip de bain sur les rochers. Je crois que c'est la seule fois où il a vu la mer. Je me souviens vaguement qu'il avait manqué de se noyer, disparu dans les criques. On lui avait mis la main dessus quelques heures plus tard, quand il était rentré du camping du centre aéré. Depuis, la mer, c'était un sujet presque tabou. Autant dire que trente ans à l'éviter, et décider d'y partir une semaine en vacances, c'était assez surprenant de sa part. 

En suivant le cercueil des yeux, mes réflexions s'assèchent d'un coup. Les gens se sont encore resserrés sous la pluie, plus par besoin de lien que pour lutter contre le froid. Je suis tellement mouillé que mon costume me colle au cul. "J'ai le papier qui colle au bonbon !", comme dirait Etienne.

J'ai pas pu m'empêcher de le dire à voix haute. Faut croire que je ne suis pas le seul. Dans le silence chagrin, ma voix a percé et autour de moi, les copains pouffent. Ils se marrent comme des baleines sous les parapluies, à suivre une boîte en bois qui va finir au fond d'un trou. On a tous l'air malin, trempés jusqu'au slip. Sacré Etienne, ce qu'on aurait pas fait, juste pour lui !



HISTOIRE A SUIVRE !

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L'histoire vous a plu ? N'hésitez pas à me laisser un petit commentaire, ça fait toujours plaisir !

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